Le train s’arrêta sur le quai avec l’habituelle annonce : «Laroche-Migennes
4 minutes d’arrêt». Les voyageurs se croisaient. Ils montaient ou descendaient
à la hâte, d’un pas décidé. Seule Alice restait sur le banc à fixer le wagon en
face. Les passagers franchissaient la porte à intervalle presque régulier, tel un compte à rebours qui
égrenait le temps dont elle disposait pour choisir son avenir.
Si elle restait à Migennes, elle mènerait une existence paisible, bien
que précaire, entre un travail de caissière à mi-temps et les personnes qu’elle
connaissait depuis son enfance. Elle continuerait à effectuer les mêmes tâches
quotidiennes, à emprunter les mêmes routes, pour aller tranquillement aux mêmes
endroits, où elle rencontrerait les mêmes personnes. Mais cette routine était réconfortante.
Elle savait exactement ce qu’elle ferait le lendemain.
En revanche si elle partait à Paris, la vie serait plus mouvementée.
Elle irait à la rencontre de personnes inconnues, devrait se repérer dans le méli-mélo des lignes de la RATP, trouver le bon métro ou attraper le mauvais bus. Elle se rendrait dans divers endroits qu’elles chercheraient sur les
avenues ou elle se perdrait sur les boulevards. Ses lendemains seraient entourés de points d’interrogation
mais est-ce que cette part d’inconnu était si effrayantes ? C’était comme
entrer dans un château hanté en sachant qu’une multitude d’animations nous
ferait peur, mais qu’on en rigolerait en sortant.
Alice se leva. Elle pensait avoir déjà répondu à cette question puisqu’elle
avait acheté son billet et fait sa valise. Mais à l'instant même, elle était envahi par le doute. Avant ce n’était alors qu’un projet,
semblable à l’idée d’aller à la fête foraine. Mais maintenant qu’elle y était,
deux choix s’offraient à elle : s’aventurer dans le grand château hanté ou
tourner en rond sur le petit manège. Elle avait passé l’âge de s’asseoir sur les
chevaux de bois en regardant le même paysage tourner autour d’elle. Et surtout,
les chaises où ses parents la regardaient en souriant étaient vides désormais. A
quoi bon raviver la douleur à chaque tour ?
Elle monta la volée de marches et franchi la porte automatique pendant qu'elle était encore ouverte, juste avant qu'elle ne se referme sur son passé. Le chef de gare siffla et
le train s’ébranla. Elle peina à garder son équilibre en traversant la rangée
de fauteuil puis s’installa près d’une fenêtre. Elle filait à toute allure vers
une nouvelle vie et ses pensées ne défilaient pas moins vite. L’inquiétude, la
peur, la tristesse et toutes leurs déclinaisons négatives trottinaient en
boucle pour entretenir l’angoisse tapie en elle. Puis le roulement du train la
berça et dénoua chaque nœud qui retenait les idées noires serrées dans sa
gorge. Elles s’envolèrent comme des ballons et libérèrent son souffle. Alice respira
alors à plein poumon une bouffée d’idées fraîches qui réveilla l’initiative, la
créativité, la joie et bien d’autres sentiments positifs.
Quand la porte s’ouvrit à nouveau, elle n’hésita pas à sortir. Elle s’était
trompée. Ce n’était pas dans le château hanté qu’elle entrait, mais dans la
fête foraine ! La grande roue, la rivière canadienne, les confiseries… Et
elle pourrait même refaire un tour de petit manège si l’envie l’en prenait..
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